Au début du XIIe siècle, la Vicomté de Poher qui s’étendait sur cinquante-six paroisses réparties entre les châtellenies de Carhaix, Landeleau, Châteauneuf-du-Faou et Huelgoat, formait la plus importante seigneurie du Comté de Cornouaille.
(Une châtellenie était un ensemble de terres attribuées par le duc de Bretagne à un vassal, qui avait le droit d’y édifier un château).
Ce vaste fief était administré par Tangui, le premier vicomte de Poher connu, qui était un « haut fonctionnaire » à qui le duc de Bretagne Alain IV Fergent, (qui était aussi comte de Cornouaille), avait délégué ses pouvoirs juridiques et économiques sur la Vicomté.
Le vicomte exerçait donc sur les habitants du Poher un droit de « haute et basse justice ». Et ceux-ci, en échange de sa protection, devaient lui payer diverses redevances, telles la « taille » (une somme dont il fixait lui-même le montant selon ses besoins), les « banalités » (l’obligation de se servir de ses moulins, fours et pressoirs moyennant le prélèvement en nature d’une certaine quantité de farine, de pains et de boissons), le « tonlieu » (qui était une taxe perçue sur la circulation des marchandises par voies de terre et d’eau et sur leur vente au marché), sans oublier les « corvées » pour bâtir et entretenir son château et cultiver ses terres.
A Carhaix, « le vieux chastel » dominait la vallée de la Madeleine
La plupart des spécialistes qui ont étudié l’histoire du Poher au Moyen Age ont repris l’hypothèse formulée par Dom Morice, un moine érudit du XVIIIe siècle, qui situait la résidence du vicomte de Poher au château de Carhaix, en s’appuyant sur une charte du cartulaire de l’abbaye St-Sauveur de Redon, datée de 1108, qui disait entre autres ceci: «Tangui, Vicomte de Poher, donna au Saint Sauveur toute la terre que sa mère avait près de son château» (dont l’emplacement n’était pas précisé).
Patrick Kernévez (qui fut il y a quelques années professeur d’histoire à Carhaix) écrivait en 1997 dans un ouvrage intitulé « Les fortifications médiévales dans le Finistère » que l’existence de ce château, «d’après divers actes… était attestée vers 1108» au sud de notre ville sur la colline dominant la vallée de La Madeleine.
Probablement constitué d’un donjon construit sur une motte dénommée «la mote du petit chasteau», il était bordé de fossés connus sous le nom de «la douffve du vieux chastel» et entouré, ainsi que «la ville-close» d’environ quatre hectares qui s’étendait à son pied par un rempart «dont il ne subsiste qu’un pan d’une cinquantaine de mètres de longueur sur deux mètres de largeur», au nord de la rue Tour du Château actuelle.
A Cléden-Poher, au village de La Roche : une imposante motte féodale
Mais ce donjon était-il vraiment la résidence du vicomte de Poher?
Hubert Guillotel et Joëlle Quaghebeur, deux universitaires enseignant l’histoire du droit médiéval en Bretagne, réfutent cette allégation, préférant situer le château vicomtal au village de La Roche, en Cléden-Poher.
On y trouve en effet les vestiges d’une motte féodale imposante …«de 15 mètres de haut sur 40 mètres de diamètre, implantée à l’extrémité d’une « basse cour »… de 90 mètres de long sur 48 mètres de large, défendue par un parapet en terre de 7 mètres de haut sur 9 mètres de large à la base, surplombant au nord de 50 mètres» la vallée de l’Aulne, et protégée «sur son flanc sud par un petit vallon.»
Un agriculteur interviewé par P. Kernévez lui a récemment affirmé «qu’on en avait autrefois extrait de pleines charretées de moellons (provenant vraisemblablement du donjon écroulé) et que vers 1920, on aurait mis au jour des entrées de galeries à la base de la motte… où l’on avait trouvé des armes, des os et des vieilles pierres sculptées».
Je ne connais pas les arguments avancés par H. Guillotel en faveur de la localisation du château du vicomte de Poher à La Roche, car ils n’ont pas été publiés.
Mais J. Quaghebeur, dans sa thèse consacrée à l’histoire de la Cornouaille du IXe au XIIe siècles, fait remarquer que le nom de Carhaix (qui était une cité ducale et non vicomtale), ne figure pas dans le texte de la donation faite par Tangui aux moines de Redon. (Cléden-Poher, dont il donnait la dîme aux moines, y est par contre mentionné).
Elle souligne, au contraire, que c’est Dom Morice qui, en retranscrivant cet acte six siècles plus tard, y a rajouté «dans la marge» une note apocryphe parlant de la fondation par ces religieux à Carhaix, à l’emplacement de l’église St-Trémeur actuelle, «d’un prieuré dédié à St Nicolas», et non pas «élevé en l’honneur du Sauveur du monde» comme l’avait stipulé Tangui.
Dom Morice aurait-il disposé de documents complémentaires qui ne nous seraient pas parvenus? Nous ne le savons pas…
Mais l’exposé de ces deux thèses nous montre que les historiens, qui sont pour la plupart désireux de transmettre des faits historiques authentiques, ne disposent pas toujours de sources suffisamment explicites pour le faire.