Le forgeron qui exerçait son métier à Pluzunet dans les dernières décennies du XIXe siècle, était bien connu pour son goût immodéré de la boisson. Souvent, lui et son fils rentraient ivres à la maison. Les querelles et les disputes sur fond d’alcool étaient monnaie courante dans ce foyer, surtout le dimanche. Puis, un jour, le fils entendit que le prêtre de la paroisse avait déclaré que l’absolution était possible pour tous les péchés, sauf un: posséder ou lire la Bible !
La Bible: un livre interdit! Au lieu de produire l’effet voulu, cet avertissement éveilla la curiosité du jeune homme.
“Eh bien, se dit-il, s’il en est ainsi, c’est que ce livre doit être intéressant.” Pensant qu’il s’agissait d’un livre sur la magie ou le diable, il réussit à s’en procurer un exemplaire.
Finies les querelles…!
Le dimanche suivant, journée habituelle de disputes dans le foyer du forgeron, le fils avait disparu. Il était introuvable. Une semaine après, le même scénario se reproduisit. Intrigué, le père se mit à sa recherche, et ce fut finalement dans un coin retiré du grenier qu’il trouva le garçon en train de lire le livre défendu! Le père n’en croyait pas ses yeux.
“Est-ce ce livre qui t’a changé à ce point,” demanda-t-il?
“Oui, père, pourquoi?”, répondit le fils.
“Alors, apporte-le-nous, s’exclama le père, nous voulons tous le voir.”
Et après le fils, ce fut le père, qui, bouleversé par la lecture de l’Evangile, fit monter vers Dieu une prière ardente, se repentant de ses péchés comme l’y exhortait l’Evangile. Puis, la mère et la fille furent à leur tour touchées par cette lecture, et tout le foyer fut transformé. Le forgeron invita le prédicateur protestant à annoncer l’Evangile dans sa maison à tous ceux qui voulaient venir l’écouter.
Les habitants du village avaient l’habitude d’appeler la maison du forgeron “l’Enfer”, mais des années plus tard, lors de l’enterrement du forgeron, le maire de la commune lui-même déclara que la maison de celui-ci avait été rebaptisée “le Paradis”.
Ces premières Bibles en breton, nous les devons à des Gallois. Déjà en 1827, une traduction en breton avait été réalisée par le grammairien Le Gonidec. Dans les années 1840, parut une autre traduction, faite par le pasteur J. Jenkins, puis, dans les années 1880, une société biblique britannique, la Trinitarian Bible Society, qui avait d’abord traduit la Bible en gallois, publia une édition en breton pour leurs “voisins de l’autre côté de la Manche”, traduite par le pasteur Guillaume Le Coat, fondateur de “la Mission Evangélique Bretonne”, œuvre protestante très importante à Trémel (orphelinat, dispensaire, école, édition, colportage biblique…)
Les premières Bibles de cette nouvelle édition arrivèrent en Bretagne en 1889. Le jour même de leur livraison, un vieil homme se tint dès cinq heures du matin à la porte du pasteur de Trémel. Il serrait dans sa main l’argent qu’il avait économisé, piécette après piécette, pour pouvoir acquérir une Bible.
Puis, ces exemplaires des Saintes Ecritures furent proposés aux habitants de notre région par le travail inlassable des colporteurs. Par monts et par vaux, leurs “roulottes bibliques”, aménagées pour loger deux hommes, avec lits, table et poêle, sillonnaient les campagnes bretonnes.
Le roi des buveurs
Toutes sortes d’anecdotes illustrent ce travail persévérant. Ainsi, un jour, à Callac, le soir approchant, le colporteur, qui lisait la Bible, demanda si quelqu’un pouvait l’accueillir afin qu’il puisse poursuivre sa lecture publique une fois la nuit tombée.
“Oui, s’écria quelqu’un, il y a beaucoup de place chez moi”. L’homme qui lançait cette invitation spontanée s’appelait M. Le Caz, mais il était surtout connu, dans toute la contrée, sous le surnom: “le roi des buveurs”. Il avait la réputation de pouvoir boire plus d’alcool que quiconque sans jamais être ivre. Tous ses meubles étaient gagés, et bien qu’il fût tailleur de métier, personne n’avait assez confiance en lui pour lui donner du travail.
Mais ce soir-là, une foule de gens, désireux de continuer à écouter la lecture de la Bible, se rendirent à la maison du “roi des buveurs”, chacun apportant un tabouret ou une chaise.
Quelques mois plus tard, tout le monde put constater que le message de l’Evangile avait aussi bouleversé le cœur du tailleur. Il aidait désormais régulièrement à l’organisation du culte dominical. Il ne se séparait plus de sa Bible, et lorsqu’on voulut le prendre en photo, il tint à ce que ce Livre –“la source de tout son bonheur”, comme il disait – y fût visible. Sa femme, dont la vie n’avait auparavant été que chagrin, était aussi une preuve vivante et rayonnante de la transformation que l’Evangile avait apportée dans ce foyer.
Le meunier de Conval
Et tout près de Carhaix, à Conval, sur la commune de Poullaouën, les colporteurs bibliques protestants passèrent aussi.
M. Yves Ropars était meunier à Conval. Il avait assisté à un office à Carhaix tenu par le colporteur M. Le Touche dans le courant de l’année 1892. Le colporteur avait ce soir-là un auditoire quelque peu contestataire et tout le monde refusa le Nouveau Testament (deuxième partie de la Bible) offert. Alors s’éleva une voix plus forte que les autres:
“Je n’ai pas peur de vos livres protestants. Vous pouvez m’en donner un.”
C’était le meunier de Conval. Il repartit chez lui, le Nouveau Testament sous le bras. Quelque temps après, il demanda par écrit la visite d’un prédicateur. Le pasteur G. Le Coat s’y rendit alors, accompagné de quelques amis. Le pasteur fit le récit dans le journal “Le Trémélois”, de la périlleuse traversée de l’Aulne dans une charrette qu’un cheval tirait en nageant et où le courant faillit les emporter. Le meunier lui raconta comment il avait obtenu le Nouveau Testament; il l’avait lu et relu, apprenant même par cœur de longs passages. Il l’avait ensuite prêté à ses fils et à d’autres personnes qui avaient suivi son exemple. Et le dimanche, ils allaient dans les villages avoisinants réciter aux habitants ce qu’ils avaient appris. C’est grâce à ce meunier que la chapelle de Conval put être édifiée. Il fit don d’un terrain pour qu’elle soit bâtie, et en suivit la construction jusqu’au bout. Le pasteur Le Coat honora encore de sa présence son inauguration, le 27 septembre 1892. Pour en faciliter l’accès, M. Ropars construisit aussi un pont sur l’Aulne. Des années plus tard, en 1910, le meunier de Conval célébra un double mariage, celui de son fils et celui de sa fille, dans cette chapelle qu’il avait fait construire. Il continua, jusqu’à sa mort, en 1941, à annoncer autour de lui ce message de l’Evangile qui avait tellement bouleversé sa propre vie.
C’est ainsi que, par le travail persévérant des colporteurs bibliques, le Centre-Bretagne commença à être ensemencé par la Bible, parole de Dieu aux hommes de tous les temps, œuvre qui devait se poursuivre des années plus tard par l’implantation du Centre Missionnaire.