Plus d’un siècle après, on en parle encore… et les paroles émues d’un ancien élève, recueillies en 1986, en témoignent.
«L’école a été construite avant ma venue au monde. Elle a fait une très grande œuvre… et pas seulement en faveur du Guilly, puisque l’on y venait de Poullaouën, de Carnoët, de Bolazec, de Scrignac… Le premier instituteur fut M. Chopin que j’ai eu moi-même comme enseignant… A Noël, il y avait un immense sapin de Noël qui nous émerveillait toujours… Des cadeaux et des bonbons étaient distribués… puis on chantait des cantiques et on écoutait la lecture des textes de Noël dans la Bible. Quelles fêtes c’étaient pour nous…!»
M. Urvoas, né en 1899 dans le petit village du Guilly, en Bretagne centrale, interviewé pour le journal «Regard d’Espérance», en 1986, sait de quoi il parle. Sans la création de cette école protestante, il n’aurait sans doute jamais pu aller à l’école, son village se trouvant trop loin de l’école du bourg de Poullaouën.
Les témoignages sont encore nombreux de ce que cette petite école protestante rurale en Centre-Bretagne a apporté à toute une région pendant des dizaines d’années.
Ils avaient acheté la Bible mais ne savaient pas lire… !
Mais comment une école protestante a-t-elle pu s’implanter dans ce village isolé, à l’orée de la vaste Forêt de Fréau?
«Mon père avait acheté un Nouveau Testament à des colporteurs bibliques, à la fin du 19e siècle, rappelle Mlle Isabelle Ropars, originaire du même village. Mais au Guilly personne ne savait lire…»
Et ce fut donc cette soif d’apprendre à lire et à écrire qui fut à l’origine de la création de l’école.
Les colporteurs bibliques de la Mission de Trémel, comme le racontent d’autres sources, n’étaient pas toujours bien accueillis. Parfois, ils étaient chassés à coups de pierres, mais dans le village du Guilly, plusieurs familles de modestes cultivateurs et sabotiers, dont les Ropars et les Urvoas, leur offrirent l’hospitalité et les invitèrent à annoncer l’Evangile dans leurs maisons.
Intéressés par la lecture de la Bible, ils réalisèrent combien ils manquaient d’instruction, et combien aussi, leurs enfants avaient peu de chances d’apprendre à lire et à écrire.
Des chrétiens gallois participèrent à l’effort financier
En 1894, plusieurs familles demandèrent alors au pasteur baptiste de Morlaix, Alfred Jenkins, et à un instituteur de son église, Henri Chopin, d’y ouvrir une école protestante. Cette demande fut favorablement accueillie, mais sa concrétisation allait se heurter à bien des obstacles.
Tout le monde n’était pas favorable à l’implantation d’une école protestante dans cette Bretagne centrale dominée par l’église catholique. Ainsi, des propriétaires catholiques refusèrent de vendre des pierres pour sa construction, et le Conseil municipal de Poullaouën «répondit par un refus unanime à une demande d’en extraire sur un terrain communal».
Il fallut alors choisir d’autres matériaux de construction, et finalement ce furent des mineurs du Pays de Galles qui acceptèrent de financer l’achat et le transport de bâtiments préfabriqués en bois recouvert de tôle ondulée pour la future école.
21 élèves la première année… 130 en 1921 !
Tous les obstacles surmontés, la nouvelle école put être construite à l’automne 1897: deux bâtiments, abritant deux salles de classe, deux préaux, deux logements et… comble de confort pour l’époque, un WC.
Henri Chopin qui occupait un poste d’instituteur public à Morlaix, accepta de quitter cet emploi sûr pour venir s’installer avec son épouse, elle aussi enseignante, soutenus financièrement uniquement par des chrétiens gallois.
La première année, 21 élèves suivirent l’enseignement dispensé.
Henri Chopin prit vraiment à cœur l’éducation et ne se contenta pas de dispenser des cours quotidiens. Jusqu’en 1910, il accueillit plusieurs centaines d’enfants du Guilly et des villages d’alentour, et il prit la peine de préparer chacun au certificat d’études primaires.
Il permit aussi aux meilleurs d’entre eux, dont plusieurs devinrent enseignants, d’obtenir le brevet élémentaire en leur dispensant bénévolement des leçons supplémentaires.
En outre, il donna gratuitement des cours du soir à des adultes qui désiraient s’instruire.
Le nombre d’élèves augmenta rapidement, et en 1921, un maximum de 130 enfants fut atteint.
Henri Chopin resta douze années au Guilly. Convoqué chaque année comme examinateur des épreuves du Brevet élémentaire, il était très apprécié par les autorités académiques qui récompensèrent son dévouement en lui décernant les médailles de bronze, d’argent et de vermeil du Ministère de l’Instruction.
Les souvenirs d’une ancienne institutrice
Après son départ, d’autres poursuivirent la tâche avec beaucoup de courage. En 1924, Mlle Isabelle Ropars, dont le père était parmi ceux qui avaient œuvré pour que cette école protestante puisse naître, y entra à son tour comme institutrice.
Il y a quelques dizaines d’années, après une longue carrière, elle partageait avec un journaliste local le souvenir de tout le travail accompli.
«Chaque matin, racontait-elle avec beaucoup d’émotion, leçon de morale religieuse protestante aux enfants. Les soirs de semaine, cours de français pour les vieux bretonnants. Et le dimanche, culte dominical pour ceux qui le désiraient. Notre mission était d’éduquer. Les gens n’étaient pas obligés d’assister à l’office du dimanche. Certains continuaient d’envoyer leurs enfants à la messe catholique… Mais dès le lundi matin, on retrouvait les gamins chez nous…»
Chaque enfant doit être respecté
Pendant 35 années, et malgré une opposition parfois rude de la part des catholiques, l’école du Guilly poursuivit sa mission en Centre-Bretagne. Plus de 1000 enfants y suivirent leur scolarité de 1897 à 1932. Cette année-là, une crise profonde toucha les mines de charbon du Pays de Galles, et les chrétiens gallois durent se résigner à arrêter cette aide financière fidèle qui avait permis d’accueillir gratuitement tant de jeunes Bretons.
L’école du Guilly fut alors confiée à des enseignants laïcs. Mais encore aujourd’hui, tant de décennies après, les anciens de ce village breton se souviennent avec reconnaissance de ces hommes et femmes de foi qui se sont dévoués pour éduquer les enfants du pays, et qui leur annoncèrent aussi l’Evangile avec une grande délicatesse et un grand respect de la liberté de choix de chacun.