En 1685 : victimes d’une dénonciation, les protestants fugitifs furent arrêtés au large de Saint-Malo
Le 5 novembre 1685, vers 9 heures du soir, huit personnes montaient discrètement à bord d’une barque de pêche ancrée dans le port de Saint-Lunaire, près de Dinard, qui appartenait à Bertrand Dufresne, «un maître de barque» résidant au village du Trichet, en Saint-Servan.
Parmi elles se trouvait Mathieu Fanjoux, un jeune théologien protestant de 23 ans, qui enseignait la philosophie à l’Académie de Saumur depuis le 14 août 1683.
Cette université calviniste avait été fondée en 1599 par le gouverneur de la ville Philippe Duplessis-Mornay, un protestant convaincu, compagnon d’Henri IV, qui avait activement participé à l’élaboration de l’Édit de Nantes.
Elle avait accueilli pendant 85 ans des étudiants français, suisses, allemands, anglais, hollandais, espagnols et même polonais, attirés par le renom de ses enseignants dont les connaissances en hébreu, en grec et en latin notamment, étaient reconnues et appréciées dans de nombreux pays européens.
Mais elle avait été fermée le 15 janvier 1685 par un arrêt du Conseil d’État signé par Louis XIV, qui défendait aux protestants, entre autres, «d’enseigner dans la ditte ville de Saumur aucunes sciences ou langues, soit publiquement ou en allant dans les maisons particulières, sous peine de désobéissance et de 3000 livres d’amende».
Une filière d’évasion clandestine
Mathieu Fanjoux avait alors perdu son emploi et tout moyen de subsistance.
Désireux de conserver sa liberté de conscience, il avait donc projeté de fuir à Jersey, où nombre de ses coreligionnaires, victimes des dragonnades qui sévissaient à nouveau dans le Poitou depuis 1681, avaient déjà trouvé refuge.
Un marchand tourangeau nommé Briot, qui entretenait à partir de Saint-Malo un florissant commerce de soieries avec l’Espagne, mais aussi les îles anglo-normandes, lui avait appris qu’une filière d’évasion clandestine très fréquentée existait en Bretagne.
Elle était dirigée par Jacques Le Hartel, propriétaire de «l’hostellerie à l’enseigne du Chapeau royal», située près de la Place Sainte-Anne, à Rennes.
Celui-ci mettait en contact les fugitifs persécutés avec des marins malouins qui acceptaient, contre monnaie sonnante et trébuchante, de les conduire à Jersey ou à Guernesey.
Maître de poste, il leur louait aussi, fort cher, des chevaux, des carrioles et des guides pour les conduire clandestinement jusqu’à leurs ports d’embarquement.
Des prisons surpeuplées
Catherine Thonnois, la mère de Mathieu Fanjoux, veuve d’un apothicaire de Tours, avait alors «vendu le peu de meubles qu’elle avait et… sa boutique» pour financer son voyage, celui de son fils, de ses deux filles Suzanne et Catherine, âgées de 19 et 21 ans, d’une servante et de Paul Beaupoil, un jeune apothicaire originaire de Châtellerault qui avait depuis peu succédé à son mari.
Tous se trouvaient à Rennes, après avoir fait étape à La Flèche, Laval et Vitré, lorsqu’ils apprirent le 26 novembre 1685 que le Parlement de Bretagne venait d’enregistrer l’Édit de Fontainebleau, qui révoquait celui de Nantes et interdisait aux protestants «de sortir du royaume sous peine de galères pour les hommes et d’enfermement pour les femmes».
L’avocat général du Parlement breton Daniel de Francheville fut dès lors chargé de renforcer la surveillance des côtes de la Manche, tandis que le conseiller Guy de Coëtlogon était envoyé à Saint-Malo «pour instruire le procès» des fugitifs arrêtés et de leurs passeurs.
Trente-sept personnes furent ainsi appréhendées et emprisonnées du 9 octobre au 18 décembre 1685 au château de Saint-Malo, faute de place dans les geôles surpeuplées de la ville.
Dénoncés par leurs bateliers
Parmi elles se trouvaient Mathieu Fanjoux, sa famille, Paul Beaupoil et deux autres passagères qui fuyaient aussi les persécutions.
Ils avaient été dénoncés par les cinq marins qui devaient les conduire à Jersey, influencés par leurs épouses qui craignaient les châtiments encourus par les passeurs: condamnation aux galères pour le maître de barque et fortes amendes pour chacun des matelots, entre autres.
Ils furent donc arrêtés une heure environ après leur départ de Saint-Lunaire par huit soldats et deux huissiers montés sur deux barques affrétées sur ordre de Guy de Coëtlogon, qui arraisonnèrent leur chaloupe en pleine mer.
Soumis à de fortes pressions, ils abjurèrent sous la contrainte avant d’être libérés le 18 décembre 1685.
Mais à l’issue d’une seconde tentative d’évasion réussie, ils furent enfin accueillis à Londres par leur frère Paul Fanjoux, qui avait émigré en 1684.
Accusé de complicité avec les fugitifs, Jacques Le Hartel, quant à lui, fut emprisonné pendant quelques semaines, puis libéré contre une caution de 6000 livres, versée aux juges du Parlement rennais.
J.L.C.