(extrait du 3ème fascicule « Survol de l’histoire des Protestants en Bretagne Centrale : L’œuvre des Gallois en Centre-Bretagne, de la solidarité inter celtique au témoignage évangélique)


Les guerres napoléoniennes et le début du mouvement interceltique

Au tout début du 19e siècle, la Bible était un livre quasiment inconnu en Bretagne. Durant les guerres napoléoniennes, en 1810, un pasteur gallois, le révérend Thomas Price, avait eu l’occasion de rencontrer et d’interroger de très nombreux prisonniers de guerre bretons détenus sur les pontons anglais. Il était curieux de constater la parenté des langues liées à l’héritage celte commun. 

Quelle ne fut pas sa surprise de s’apercevoir au fil des entretiens que la Bible, et également le Nouveau Testament étaient inconnus de ses interlocuteurs.  

Ce constat fit grand bruit au Pays de Galles, où le Nouveau Testament avait été traduit en gallois dès 1567, et la Bible entière en 1588, avec une réédition tout public en 1630. En 1819, un article dans un journal gallois, présentait les Bretons comme des « Gallois de France », et regrettait « qu’on n’ait fait aucun effort pour leur envoyer l’Evangile ».  La Société biblique britannique et étrangère reçut alors des demandes pour l’édition d’une Bible en breton. Un autre Gallois, le pasteur méthodiste David Jones, était aussi partisan d’une traduction bretonne de la Bible, et avait repéré les publications de Jean-François Le Gonidec, grammairien et membre de l’Académie Celtique.

En 1824, à l’occasion d’un voyage en France il le rencontra à Angoulême, et le grammairien fut tout heureux de converser enfin avec un Gallois véritable. David Jones évoqua cette rencontre avec le lettré breton dans un courrier du 28 janvier 1825 à la Société biblique britannique et étrangère (fondée en 1804) : « il consacre tout ce qu’il trouve de temps à la composition d’un dictionnaire breton-français. Il a aussi commencé une traduction de la Bible. Mais étant seul, sans moyens suffisants pour composer rapidement cet ouvrage, il a été très découragé, et l’ouvrage est maintenant en suspens bien qu’il le juge très important… ». Le comité décida alors d’adresser une commande de 1000 exemplaires du Nouveau Testament en breton à J.F. Le Gonidec (qui reçut le titre de « rénovateur de la langue bretonne » pour son œuvre). Ce Nouveau Testament parut effectivement en 1827. La commande fut renouvelée pour la traduction de l’ensemble de la Bible,  achevée en 1835, mais qui fut publiée bien plus tard, en 1866.

Sur les traces des missionnaires celtes des 5e et 6e siècles

Deux sociétés missionnaires galloises, représentant deux courants protestants très développés en Grande-Bretagne, se préparèrent à envoyer des pasteurs en Bretagne : le pasteur baptiste John Jenkins arriva à Morlaix en 1834, et quelques années plus tard, il fut suivi par son compatriote le pasteur méthodiste calviniste James Williams qui s’installa à Quimper en 1842 (après être passé par Saint-Servan, Pontivy et Le Faouët). Ces pionniers de l’évangélisation avaient conscience de s’inscrire dans la lignée des premiers évangélistes de l’église chrétienne celtique (les « Saints Fondateurs »), séparée de Rome, qui arrivèrent en Armorique aux 5e et 6e siècles, avec tout un peuple chassé de Grande-Bretagne par l’invasion des Angles et des Saxons.

Au début du 19e siècle, le protestantisme était très diffus en Bretagne. A Brest, le consul de Grande-Bretagne, Anthony Perrier faisait son possible pour que les protestants de la région puissent bénéficier d’un pasteur. Il lui fut envoyé en 1832  un jeune converti, juriste de formation, Achille Le Fourdray. La Société évangélique de France, dès sa création l’année suivante à Paris, lui adjoignit le colporteur Loyer, également évangéliste, qui visitait les protestants disséminés, au nombre d’environ 300 dans le département, la moitié à Brest (165), le reste à Quimper (71), Morlaix (37) et Quimperlé, sans compter ceux du régiment suisse du 6e Léger (qui comptait jusqu’à 1600 protestants), et ceux de Guingamp ou Lannion dans les Côtes-du-Nord (actuelles Côtes-d’Armor).  

Le consistoire de Nantes, bientôt suivi par le ministre des cultes, reconnut A. Le Fourdray comme pasteur de Brest en 1834 (confirmé en 1837). Il put bénéficier de la bienveillance de la municipalité anticléricale, qui était heureuse de susciter des concurrents à l’église catholique. A. Le Fourdray se réjouit de l’arrivée de deux pasteurs gallois, qu’il plaça l’un à Morlaix, l’autre à Quimper, chargés de s’occuper des protestants de la région. Le colporteur Loyer fut même affecté par la Société évangélique de France auprès du pasteur Jenkins (avant de rejoindre Rennes en 1835 pour épauler le pasteur Filhol). Les deux missionnaires gallois, quand Brest devint consistoire en 1852, bénéficièrent d’une délégation pastorale accordée par le pasteur réformé Achille Le Fourdray (1). Les pasteurs Jenkins et Williams commencèrent par évangéliser les campagnes, tout en s’efforçant d’apprendre deux langues : le français et le breton. Ils se sentaient proches des Bretons. Ils retrouvaient chez eux des traits communs : énergie de caractère, profonde sensibilité, religiosité naturelle.  Mais dans un premier temps, la campagne leur parut fermée, tant l’opposition du clergé et son emprise sur la population étaient grandes. 

Une fin de non-recevoir par le directeur protestant des mines de Huelgoat-Poullaouën

En 1838-39, J. Jenkins voulut tester l’accueil de la population des mines de Huelgoat-Poullaouën, dont le directeur (également maire de Poullaouën), l’ingénieur Auguste Juncker, était un protestant alsacien. Mais, étonnamment, il lui fut interdit de distribuer des traités aux ouvriers. Le directeur, qui avait des attaches étroites, notamment familiales, avec d’illustres officiers de la grande armée de Napoléon, se méfiait-il des Anglais ? Nous ignorons quelles furent réellement ses motivations. Toujours est-il  que plus tard, ayant quitté ses fonctions à Poullaouën, il fut tout dévoué aux intérêts du protestantisme, et devint membre du consistoire luthérien à Paris.

Les pasteurs gallois purent prendre en charge les quelques protestants français ou suisses qui se trouvaient dans les villes, mais le but principal de leur mission était bien l’évangélisation des populations bretonnantes des campagnes. C’est grâce au concours des colporteurs que ce but put être atteint. Dès la fin des années 1830, plusieurs Sociétés bibliques ou évangéliques, de Londres, Genève, Paris, ou Toulouse… employèrent des dizaines puis des centaines de colporteurs pour diffuser la Bible à travers toute la France. En 1863, un responsable du colportage écrivait : « Plus de la moitié des 1800 ou 1900 colporteurs employés pendant ces trente dernières années, étaient d’anciens catholiques, et c’est par la lecture d’une Bible ou d’un Nouveau Testament acheté à un colporteur qu’ils ont été convertis à Jésus-Christ ».

C’est ainsi qu’à Morlaix, le premier converti du pasteur John Jenkins, Yves Omnes, devint en 1841 colporteur. Son fils Guillaume fut aussi colporteur, et ses deux petits-fils, Yves et Guillaume furent évangélistes. Grâce à l’appui des Sociétés d’évangélisation de Paris, Genève…,  colporteurs et voitures bibliques sillonnaient le Centre-Bretagne. Souvent le temps n’était pas favorable, car c’est pendant la mauvaise saison que les colporteurs étaient surtout employés. Au printemps et en été le colportage était difficile, car les populations étaient trop occupées aux travaux des champs… il restait les foires, les marchés, les « pardons »… 

Aller de l’avant malgré l’opposition du clergé local

Le clergé savait échauffer les esprits pour lutter contre la pénétration de « l’hérésie ». Ainsi, le curé de Morlaix avait prévenu ses fidèles de la venue du pasteur gallois par ces mots : « Un serpent plein de venin a traversé la mer ». Un autre prêtre, du Morbihan, n’avait pas hésité à traduire ainsi le verset de l’Evangile de Marc, chapitre 10 verset 33, relatif à l’annonce prophétique de l’arrestation de Jésus : « Ils le livreront aux huguenots », à la place de « ils le livreront aux païens » !  

Mais comme le disait le pasteur Alfred Jenkins au Congrès de Paris sur l’évangélisation en 1913 : « L’œuvre se fit pourtant, lentement, sans bruit, mais sûrement, tant du côté de Quimper que de celui de Morlaix. Elle se fit par les colporteurs, bien que souvent contrariés et arrêtés dans leur œuvre par le refus de l’estampille préfectorale sur leurs livres. Elle se fit surtout  par des réunions plus ou moins clandestines dans les maisons des fidèles, en ville ou en campagne ».

Quand un bon accueil était réservé dans un endroit et si le curé n’était pas passé ensuite pour défaire tout ce qui avait été apporté, l’évangéliste ou le pasteur responsable venait proposer des réunions, et c’est ainsi que plusieurs lieux furent ouverts pour une annonce régulière de l’Evangile, et par la suite, une salle de réunion spéciale ou une école était construite.

De gauche à droite : 

– Nouveau Testament de J.F. Le Gonidec édité en 1827, qui serait la première traduction en breton connue des Saintes Ecritures. (Peut-être retrouvera-t-on un jour  une Bible bretonne du 16e siècle, car à Morlaix fut nommé en 1572 un pasteur bretonnant, Roland). 

– Profil du grammairien, extrait de l’ouvrage que lui a consacré en 1949 le Docteur Louis Dujardin (qui a publié l’article « Les Protestants et la langue bretonne » –BSHPF 1950- sous le nom bardique de L. Lok).

– Publication en 1835 de l’abécédaire en breton pour promouvoir l’alphabétisation dans les campagnes.

– Portrait du pasteur John Jenkins vers 1865.

Morlaix, source de diffusion de l’Evangile en Centre-Bretagne

Le pasteur John Jenkins eut à mettre en place les moyens de diffuser l’Evangile en breton et posa les fondations, que son fils Alfred développa ensuite. Quand il  arriva en Bretagne en 1834, le missionnaire gallois commença par assister à la messe afin de se familiariser avec le breton de la région. Il avait déjà dès sa jeunesse été sensibilisé aux particularités des langues celtiques, grâce à son père, un pasteur lettré. Ce dernier, né à Llangynidr au Pays de Galles, exerça son ministère pastoral à Hengoed (2). C’est en souvenir de cette paroisse que John Jenkins nomma ainsi l’église qu’il fit construire à Uzel-Trémel, qui devint une source de rayonnement de l’Evangile.  

Les difficultés rencontrées par J. Jenkins ne manquèrent pas. Mais, aidé par les quelques protestants de Morlaix, et par le papetier de Pleyber-Christ François-Marie Andrieux, il se mit à l’œuvre, en commençant par distribuer des tracts évangéliques rédigés en breton, ainsi que le Nouveau Testament de J.F. Le Gonidec. Mais il se rendit vite compte que peu de personnes savaient lire, même si était parue  en 1752 la première édition de Buhez ar Sent (La vie des Saints), surtout lue dans des foyers instruits de la Bretagne bretonnante, le soir à la veillée. Toujours est-il que John Jenkins, l’estimant indispensable pour l’œuvre qu’il se proposait d’entreprendre, décida de composer un manuel d’alphabétisation en breton « An A.B.K. » qui fut tout d’abord tiré à 1000 exemplaires (en 1835 chez Ledan, à Morlaix), et qu’il donnait avec le Nouveau Testament breton de J.F. Le Gonidec. 

Un texte réalisé à l’occasion des 150 ans du temple de la rue de Paris à Morlaix évoque ces débuts héroïques : « Les réunions pour la lecture et l’explication de la Bible se déroulaient dans la maison du pasteur, 9 quai de Léon ou rue de la Villeneuve chez Nicolas Le Messurier, un tonnelier originaire de Guernesey. Puis J. Jenkins loua un local pour le culte public près d’une brasserie, probablement dans le quartier des halles. Il trouva ensuite une nouvelle salle au 52 rue Sainte-Marthe, mais la propriétaire subit des pressions et renonça à la mettre à sa disposition. Le maire lui interdit de réunir plus de 20 individus sans autorisation du gouvernement et lui indiqua que seules les personnes de nationalité française pouvaient exercer le saint ministère. En fait la loi sur laquelle s’appuyait l’officier municipal ne s’appliquait qu’aux ministres salariés du gouvernement».

Une lettre du pasteur de Morlaix, datée de 1844, et adressée au pasteur Jones de Cardiff, montre comment le pasteur Jenkins s’y prenait pour remplir sa tâche de missionnaire évangélique : « Dimanche dernier, dans la soirée, nous étions dans un petit village distant de 5 km à distribuer des traités. Dans la première maison où nous sommes entrés, il n’y avait personne qui sache lire. Dans la seconde maison, on avait dans le passé accepté mes traités mais cette fois la jeune fille refusa. Je lui en demandai la raison, c’était parce que le prêtre avait dit que c’était des mauvais livres, et qu’il allait refuser l’absolution à ceux qui les liraient… […]. Peu après je visitais la maison d’un forgeron qui m’accueillit très cordialement et qui écouta ce que j’avais à dire avec le plus grand plaisir. Il me pria gentiment de prendre un siège. Il y avait là une demi-douzaine de personnes. Je lus un passage concernant l’état pécheur de l’homme, nous discutâmes sur ce sujet. Ensuite je parlai du chemin du salut par Jésus-Christ. Pendant une heure nous parlâmes de ces vérités vitales. Des gens sont entrés, et le groupe alla jusqu’à 20 personnes. Nous sommes rentrés à la tombée de la nuit ».  

La mission baptiste décida alors de lui adjoindre un aide, le pasteur John Jones (jusqu’en 1849, puis se succédèrent  les pasteurs A. William Monod en 1860, et Victor Bouhon en 1862). 

Traduire la Bible et construire un temple 

Le pasteur Jenkins présidait en 1839 une assemblée de 54 personnes, d’après les estimations du sous-préfet, mais il continuait à faire du colportage dans la région : les communes de Plougasnou, Lanmeur, Plestin, Plouigneau, Plougonven… étaient visitées. Ayant constaté que le texte de la version de J.F. Le Gonidec était difficile à comprendre dans les campagnes du Léon et du Trégor, il décida d’effectuer une nouvelle traduction, et dès 1844 il publia (chez Anner à Brest), des extraits des Evangiles : « Darniou eus an Aviel ». 

Son travail de colportage fut l’occasion de faire connaissance avec le poète-paysan Guillaume Ricou, rendu célèbre par sa traduction en breton des fables d’Esope en 1828 (3). G. Ricou aida le pasteur Jenkins dans son œuvre de traduction de la Bible et dit plus tard qu’il «se nourrissait de principes protestants bien avant qu’il n’y eut des réunions protestantes » . 

C’est ainsi qu’une nouvelle version du Nouveau Testament en breton put être terminée et publiée en 1847 chez l’éditeur Charles de Blois à Brest (4).

Ayant des difficultés à louer des salles de culte, le pasteur Jenkins fit construire à la fin de l’année 1845 un temple, rue de Paris à Morlaix, le premier en Bretagne depuis l’époque des Guerres de religion, qui fut inauguré le 18 janvier suivant, en présence du pasteur Rosselet, président du consistoire de Nantes, accompagné de Jean Barbezat (1804-1854), pasteur de Rancon-Villefavard, en Haute-Vienne, d’origine suisse et agent de la Société évangélique, ainsi que du pasteur de Brest, Achille Le Fourdray. Ce dernier avait de nombreux paroissiens à Morlaix, et avait accordé au pasteur Jenkins une délégation pastorale afin que ce culte soit reconnu officiellement. Le pasteur de Quimper M. Williams, présent également, assura ensuite un culte en breton.

Les pasteurs de Bretagne poursuivirent  leur étroite collaboration  au sein d’une « conférence fraternelle » (que rejoignit le pasteur Planta de Lorient), et publièrent une revue commune, le « Bulletin évangélique », organe de la « Société d’évangélisation de la Basse Bretagne ». Ainsi l’œuvre de Morlaix se consolidait ; et elle ouvrit une annexe dans le département voisin des  Côtes-du-Nord, à Trémel (canton de Plestin-les-Grèves), lieu de résidence de Guillaume Ricou. Dès 1851, John Jenkins organisa des écoles itinérantes, avec l’aide du colporteur Humbert, venu de Rennes (qui oeuvra ensuite à Brest).

A gauche : Le premier temple de Morlaix, qui était surtout utilisé pour les prédications en français, tandis que dans la salle de La Madeleine les prédications se faisaient en breton. Devenu vétuste, il fut démoli et remplacé en 1924 par le temple actuel. 

Au centre : Le fabuliste Guillaume Ricou (1778-1848), qui aida John Jenkins pour sa traduction de la Bible en breton, fut aussi le grand-père maternel du pasteur Guillaume Le Coat.

A droite : Le pasteur Alfred Jenkins (1846-1924), fils de John, fut l’artisan du développement de la mission avec l’établissement de plusieurs lieux de culte, notamment en Centre-Bretagne.

Trois nouvelles chrétiennes baptisées (en 1853) prirent la suite de ce témoignage itinérant : Marie-Jeanne Toquer de Plougasnou (29), Marguerite Le Barazer de Louargat (22) et Marguerite Picard de Gurunhuel (22), bientôt rejointes à Trémel par la fille de Guillaume Ricou, Marie, épouse de Vincent Le Coat. Nous exposerons plus loin les développements étonnants de cette œuvre, malgré les barrières mises par l’administration qui ordonna dans un premier temps la fermeture du lieu de culte ouvert en 1861 par le pasteur Jenkins à Trémel.

Des colporteurs à l’œuvre…

Le Bulletin Evangélique de Basse Bretagne, à l’occasion de la rencontre fraternelle des pasteurs bretons, réunis à Morlaix les 8, 9 et 10 mars 1862, publia un rapport du pasteur Jenkins qui déclarait, au sujet de ses colporteurs : « Deux amis s’emploient à répandre la Parole de Dieu ; l’un (Aimé Bolloc’h) occupé à ce seul travail, a vendu dans l’année 700 Nouveaux Testaments, l’autre (J.M. Le Guillou) qui joint au colportage la lecture de la Bible à domicile, en a vendu environ 150 (dont 117 Nouveaux Testaments en breton) ».

Avant eux oeuvrait déjà le fidèle colporteur Yves Omnes, de Louargat, qui fut en 1850 un des premiers Bretons baptisés par J. Jenkins (avec l’officier de marine Jules Caradec, gendre du pasteur de Brest). Quant à Jean-Marie Le Guillou (mort à Trémel en 1910, et oncle de l’évangéliste Jean-Baptiste Le Guillou), il avait vu s’ouvrir les portes et les cœurs à Trémel. 

John Jenkins était bien connu dans le protestantisme français; en témoigne sa participation aux conférences pastorales de Paris en avril 1864. Ces conférences étaient l’un des moments des plus importants du protestantisme français. Chaque année au printemps avaient lieu les Assemblées Générales des Sociétés œuvrant au témoignage et à la manifestation de la vitalité du protestantisme français. Ces assemblées générales étaient groupées pour éviter aux pasteurs de province de multiplier les allers-retours à la capitale. 

Ainsi participer aux « conférences générales » (non liées à une société religieuse spécifique), permettait de rencontrer une multitude de personnes avec qui l’on était ou avait été en relation. En 1864, le pasteur Jenkins put retrouver l’ancien président du consistoire de Nantes, le pasteur Rosselet, ses successeurs en poste dans cette ville, les pasteurs Vaurigaud et Sohier, les pasteurs baptistes de Paris, A. Dez et V. Lepoids, Victor de Pressensé, représentant à Paris de la Société biblique britannique et étrangère, qui fut un soutien majeur de l’œuvre évangélique de Trémel, et qui déjà supervisait l’action de nombreux colporteurs en France (110 pour l’année  1845), tout comme les responsables de la Société évangélique de France (les pasteurs Audebez, Grandpierre, G. Monod…). Aux premiers colporteurs de Trémel, se rajoutèrent bientôt  Aimé Bolloch, Yves Le Pape, François Marie Le Quéré, Paul Gourvil, Guillaume Le Coat, instituteur-évangéliste, qui fut consacré pasteur en 1868. Trémel devint un avant-poste pour l’évangélisation de la Bretagne intérieure.

L’évolution de l’œuvre après la mort du pionnier

Le pasteur Jenkins ne cessa de produire des textes évangéliques en breton. L’année même de sa mort en 1872, il travaillait encore à la composition et publication de cantiques en breton, comme nous l’apprend une lettre qu’il écrivait le 23 janvier de cette année-là à Henri Gadoz, le directeur de la Revue Celtique. Yves Le Berre, dans ses volumes sur la « Littérature Bretonne », recense les publications parues dans cette langue année par année (comme l’avait fait le Dr Dujardin dans son étude sur les Protestants et la langue bretonne). Il écrit que John Jenkins « a joué un rôle important dans le développement de la connaissance de la lecture du breton dans les classes paysannes ».

A la mort de John Jenkins en 1872, la Société des missions baptistes du Pays de Galles décida de scinder l’œuvre bretonne en deux, confiant Morlaix à Alfred Jenkins, et Trémel à Guillaume Le Coat. Dès lors les deux centres baptistes d’évangélisation rivalisèrent de zèle pour proclamer la bonne nouvelle du salut jusque dans les bourgs les plus reculés. 

Ce fut l’âge d’or du colportage biblique et l’élan missionnaire des deux communautés donna sa pleine mesure, en touchant l’ensemble de la Bretagne bretonnante, avec principalement pour Morlaix des annexes ou postes d’évangélisation à Roscoff, à Plougasnou (au Diben-Primel en 1892, puis avec la construction d’une école en 1912), à Roscoff (création en 1886 d’un Saylor’s Rest par M. et Mme Messervy, puis ouverture d’une salle d’évangélisation en 1895, et enfin d’un temple en 1931), à Lannéanou, au Guilly et à Conval  en Poullaouën, à Carhaix, à Kerelcun (La Feuillée), à Pont-Menou (Plouégat-Moysan), à Huelgoat, Callac, à Pluzunet, à Plounérin, à Brest et même au Havre. Nous évoquerons dans ce fascicule les lieux implantés en Centre-Bretagne. 

Alfred Jenkins ouvrit aussi des « salles de conférence » dans la banlieue de Morlaix (à La Madeleine, chez Yves Omnes – plus tard une école s’y rajouta) pour s’adresser au public bretonnant.

Alfred Jenkins resta comme son père en contact étroit avec les différentes œuvres d’évangélisation et avec les responsables du protestantisme français. En mai 1913 il intervint lors du congrès sur l’évangélisation de Paris, organisé par la Société centrale évangélique, avec un certain nombre de théologiens et de pasteurs engagés dans l’évangélisation en divers lieux et milieux. On notait à ce congrès la présence des pasteurs G. Boissonnas, Paul Barde, Henri Bois, Henri Monnier, Marc Boegner, Elie et Paul Gounelle… 

En 1920 Alfred Jenkins pensa s’affilier à l’Union des églises baptistes de langue française regroupant l’Association franco-belge  du Nord de la France, et l’Association franco-suisse de l’Est, et participa à son congrès du mois de juillet. Il posa sa candidature au congrès suivant de mai 1921. Mais le caractère baptisto-réformé de l’église de Morlaix, dans laquelle sur les 56 membres, seuls 12 étaient baptisés, posait problème aux représentants de l’Association franco-suisse. Le clivage des baptistes français se trouva alors mis en pleine lumière, et les deux groupes finirent par se séparer. 


(1) A. Le Foudray comptait parmi ses paroissiens des officiers de marine de grand mérite, comme le futur amiral et ministre Jean-Bernard Jauréguiberry, le chirurgien de marine Louis Mathurin Foullioy, futur inspecteur général du service santé, les deux frères Caradec, Louis, peintre, et Jules, officier, qui devint gendre du pasteur Le Fourdray et que J. Jenkins baptisa en 1850.

(2) J. Jenkins père fut un auteur très prolifique, réalisant même le premier commentaire complet des Saintes Ecritures en langue galloise. Il fonda une imprimerie que reprit son autre fils Llewelyn (1810-1878), frère du missionnaire de Morlaix.

(3) L’écrivain morlaisien Emile Souvestre dans son ouvrage « Les derniers Bretons » (1838), comme le journal parisien « Le magasin pittoresque » (1839, livraison 48) le firent connaître au grand public.

(4) Ouvrage de 468 pages, réédité en 1853, 1863, 1866, 1870 et 1871. En 1885 sera publiée une révision effectuée par son fils Alfred, aidé par le pasteur Bouhon, F. M. Luzel et G. Lejean, qui parut également en version bilingue l’année suivante.


Article extrait du 3ème fascicule « Survol de l’histoire des Protestants en Bretagne Centrale » : L’ŒUVRE DES GALLOIS EN CENTRE-BRETAGNE – De la solidarité interceltique au témoignage évangélique