(extrait du 3ème fascicule “Survol de l’histoire des Protestants en Bretagne Centrale : L’œuvre des Gallois en Centre-Bretagne, de la solidarité inter celtique au témoignage évangélique)
Partie 1 : L’œuvre des colporteurs bretons
«Il n’y a pas un coin, un village, une ville des trois départements bretons qui n’ait été parcouru par les colporteurs de Trémel…les foires, les marchés ont été visités…ainsi que les centres de pèlerinage et les pardons» écrivait en 1911, vers la fin de son ministère, le pasteur Le Coat, fondateur de la Mission évangélique bretonne, de Trémel (22).
Ce constat, qui peut être fait pour le Centre-Bretagne, «pays» situé au carrefour des trois départements évoqués par le pasteur Le Coat, était l’aboutissement d’un long chemin parcouru par de nombreux pasteurs, évangélistes et colporteurs depuis la première moitié du 19e siècle, ayant affronté maintes difficultés et oppositions.
Quelle persévérance, quel courage et quelle foi pour annoncer le message de la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ, depuis l’époque des prémices où l’on pouvait être traîné en justice pour avoir diffusé la Bible, jusqu’au début du 20e siècle où plusieurs communes du Centre-Bretagne comptaient un temple ou une école protestante.
4.1. L’œuvre des colporteurs bretons
Dès les années 1830, plusieurs sociétés bibliques ou évangéliques françaises ou étrangères (Paris, Nîmes, Londres, Genève, …) employèrent des centaines de colporteurs pour diffuser la Bible dans toute la France. Comme le notait en 1863 un responsable du colportage, ces derniers étaient souvent d’anciens catholiques qui s’étaient convertis au contact d’autres colporteurs. Ils pouvaient ainsi plus aisément «se faire tout à tous» comme dit la Bible, afin de transmettre le message biblique à leurs contemporains.
Sillonnant la Bretagne centrale, généralement à pied, les courageux colporteurs devaient non seulement affronter les mauvais chemins, les intempéries, mais surtout les rigueurs de la législation répressive de l’époque, ainsi que les persécutions encouragées par le clergé catholique.
Une législation contraignante
Au milieu du 19e siècle et sous le Second Empire, les activités de colportage étaient soumises à de strictes autorisations. L’article 6 de la loi du 27 juillet 1849 contraignait tous les distributeurs ou colporteurs de journaux, livres et brochures, etc. à disposer d’une autorisation préfectorale, sous peine de poursuites.
Le «permis de colportage», avait une durée limitée dans le temps ; ainsi l’autorisation accordée en 1868 à Aimé Bolloch, colporteur en Centre-Bretagne, était-elle valable 6 mois, à renouveler. Le permis devait en outre être présenté par son détenteur au maire de la commune où il se rendait. Les ouvrages distribués devaient par ailleurs porter «l’estampille bleue du Ministère de l’Intérieur». Ce cachet prouvait qu’ils avaient été agréés par la commission de colportage que Monsieur de Maupas, ministre de la Police Générale de Napoléon III, avait créée en 1852 pour contrôler et au besoin interdire la diffusion de journaux, livres, brochures, etc. Toutes les publications en France étaient étroitement surveillées par le gouvernement, sous prétexte de lutte contre les anarchistes, les atteintes à la morale publique, ainsi que les attaques contre le régime en place.
Après avoir, non sans peine, franchi ces obstacles, les colporteurs auraient pu se croire protégés par les lois, mais c’était sans compter sur le zèle persécuteur et l’obstination d’une partie des autorités. C’est ainsi que le 6 avril 1862, Aimé Bolloc’h vit les gendarmes s’arrêter à Quimperlé devant son éventaire: sur ordre du sous-préfet, ils lui retirèrent le permis de colportage que le préfet du Finistère lui avait pourtant délivré le 3 janvier précédent. Les gendarmes saisirent aussi les exemplaires du Nouveau Testament ainsi que ceux de «l’Almanach des bons conseils» édités par la Société biblique d’Angleterre qu’ils trouvèrent en sa possession. Les arguments avancés par le sous-préfet reposaient sur une dénonciation anonyme et calomnieuse et à la suite de l’enquête diligentée par le procureur impérial, l’affaire fut classée sans suite. Aimé Bolloc’h dont le maire de Scrignac, commune où il résidait, soulignait l’honnêteté, la conduite irréprochable et l’excellente réputation, retrouva alors son permis de colportage et les livres confisqués.
La plupart de ces dispositions légales survécurent à la chute de l’Empire en 1871 et la loi de 1849 continua à s’appliquer pendant les premières années de la IIIe République.
Toutes ces tracasseries administratives et les discriminations qui les accompagnaient ne prirent fin qu’en 1881 lorsque fut votée la loi du 29 juillet sur la liberté de la Presse. C’est alors seulement que les colporteurs purent librement, après de longues décennies de restrictions, distribuer Bibles, Evangiles ou almanachs.
Soumis à de fréquentes persécutions, en proie à des violences
Si elle mit fin au contrôle exercé par les autorités sur les activités des colporteurs, la loi de 1881 ne sonna en rien la fin des oppositions et autres persécutions qu’ils durent subir, depuis les débuts de l’évangélisation dans les années 1830, jusqu’au début du 20e siècle.
A cette époque en effet, le clergé catholique exerçait une très grande influence sur la population bretonne , s’appuyant également sur l’aristocratie et les puissants propriétaires fonciers. Ces «élites» voyaient ainsi d’un très mauvais œil l’arrivée des missionnaires protestants dans leur contrée et disposaient de nombreux moyens d’influence et de coercition des populations, particulièrement dans les campagnes.
En août 1888, lors d’une conférence des colporteurs à Trémel, Guillaume Omnès, colporteur depuis 1864, et fils du pionnier Yves Omnès, témoignait qu’on avait souvent attenté à sa vie dans les premiers temps de son activité, et même que des prêtres lui avaient donné des coups de poing. Le pasteur John Jenkins fut aussi un jour fort malmené alors qu’il annonçait l’évangile à la sortie de la messe sur la place de Moustéru (22), bourg situé entre Callac et Guingamp, à l’époque de la Seconde République (1848-1852). On lui lança des pierres, et on le poursuivit dans l’auberge où il s’était réfugié. Là il fut brutalisé et on déchira ses vêtements. Hors de l’auberge, une foule proférait des menaces et le pasteur Jenkins ne fut délivré que par une pluie violente qui fit partir ces villageois agressifs.
Ci-dessus : A Trémel, dans les années 1910. On peut reconnaître le couple Le Coat au premier rang au centre; à l’extrême droite, Yves Omnès, et à sa gauche Georges Somerville (qui lui met la main sur l’épaule) ;
à l’arrière-plan (4ème à partir de la gauche), le colporteur Guillaume Le Quéré (avec casquette et moustache) (archives privées).
Cette violence physique s’exerça également à l’encontre du colporteur François Hervet à Kergloff en 1897, ainsi que le relatait le Bulletin évangélique de l’Ouest. Alors qu’il traversait le bourg de Kergloff, proche de Carhaix, le 8 décembre 1897, il entra dans une auberge pour prendre un café et fut abordé par deux jeunes hommes qui lui demandèrent du tabac. Après que François Hervet eut refusé d’en donner à l’un d’eux qui en avait déjà, cet homme devint très agressif et lança au colporteur: «Tiens, tu n’es qu’un misérable protestant; on ne devrait pas tolérer des protestants dans ce pays….». Saisissant le colporteur par ses habits, il le frappa violemment et ne fut arrêté que grâce à l’intervention de la femme de l’aubergiste. Alors qu’il était sorti pour aller porter plainte auprès du maire, le colporteur fut poursuivi dans la rue par son agresseur. François Hervet chercha refuge dans une maison mais fut rejoint par l’homme en furie qui le roua de coups et le mordit. Cette sauvagerie ne prit fin qu’avec le secours de trois hommes qui purent séparer la victime de son persécuteur. Très sérieusement atteint, le colporteur F. Hervet dut rester alité pendant trois semaines. Une plainte fut déposée à la gendarmerie, suivie d’une enquête et d’un procès-verbal adressé au procureur de Châteaulin, dont nous ne connaissons pas les suites.
En mars 1894, le journal Le Trémélois évoquait en ces termes la vie éprouvante des colporteurs bretons: «Cette profession nécessite du tact, de l’expérience, de la force physique et de l’énergie; la faim, la soif, après avoir les moyens de payer modérément ses consommations, ajoutées au mauvais temps, ne sont que les peines secondaires du travail ; la superstition, l’ignorance du clergé…qui vous pulvériserait sous ses pieds s’il le pouvait, rendent le colportage évangélique excessivement dangereux et difficile dans ce pays.»
Les opposants ne s’attaquaient pas seulement aux colporteurs et évangélistes, mais également aux Bibles et autres publications distribuées. La Bible était «un livre que, normalement, et ce jusqu’en 1897, un catholique ne pouvait lire sans autorisation de son évêque», comme le soulignent très opportunément Jean Baubérot et Christiane Zuber dans leur ouvrage «Une haine oubliée».
Ce zèle persécuteur, mais qui n’empêchait pas le message de la Bible de se répandre, peut faire songer à la célèbre gravure de l’époque de la Réforme où l’on voit des hommes frapper sur la Bible, accompagnée de cette maxime: «Plus à me frapper on s’amuse, tant plus de marteaux on y use».
La persécution frappait également ceux qui manifestaient un accueil trop bienveillant aux colporteurs, ou qui recevaient avec joie le message de la Bible, se soustrayant alors à l’influence de la religion dominante. Nombreux sont les récits qui font écho de ces difficultés rencontrées par les «nouveaux convertis» de notre région qui voulaient simplement et paisiblement vivre leur foi au milieu de leurs contemporains. Ainsi, peut être cité le cas de cette institutrice qui se rendait régulièrement aux réunions à Conval en Poullaouën (fin 19e siècle) bravant les insultes des gens qui la traitaient de folle. Dans certains cas, les fermiers étaient menacés de rupture de bail par leur propriétaire, tels ces paysans d’un village du Centre-Bretagne qui, en 1894, se regroupaient deux fois par mois pour écouter les colporteurs leur prêcher l’Evangile.
Dans d’autres cas, les menaces des autorités religieuses faisaient fuir la clientèle, incitant à une forme de boycott. C’est l’une de ces actions qui causa la maladie puis la mort du jeune charron Pierre Bozec, de Poullaouën (29), qui s’était converti et avait perdu sa clientèle. Le journal Le Trémélois nous rapporte également l’action de prêtres qui allaient jusqu’à s’opposer à des services d’inhumation protestants ou à tenter de procéder de force à des inhumations dans le rite catholique pour certains de leurs «anciens» paroissiens.
Des milliers de Bibles et almanachs diffusés en Bretagne
Les colporteurs bretons étaient notamment soutenus par des sociétés bibliques étrangères comme les sociétés bibliques de Londres, de Genève, la Société trinitarienne, et diffusaient les ouvrages qu’elles publiaient: Bible, Nouveau Testament, traités et brochures diverses, des almanachs, etc. La Bible en breton, «Ar Bibl Santl» traduite par le pasteur Le Coat était également adaptée à des populations majoritairement bretonnantes. Enfin, les colporteurs proposaient aussi des recueils de cantiques en breton dont «Telen ar Christen» composé par le pasteur William Jenkyn-Jones (successeur du pasteur Williams en 1884 à Quimper). Le chant était très présent dans la culture bretonne, aussi le témoignage des colporteurs qui chantaient des cantiques sur les places des villages interpellait-t-il particulièrement les Bretons. Le pasteur Le Coat avait également publié un recueil de cantiques en breton mais sans musique. Lorqu’il apprit que la Société de publication religieuse de Londresse proposait de prendre à sa charge l’édition d’un recueil de cantiques avec musique, il en informa le Dr Bullinger qui fit alors un immense travail de collectage pour éditer des chants bretons avec partitions. Guillaume Le Coat vit ses cantiques adaptés à ces musiques, et le recueil put être édité en 1889 sous le titre Kannaouennou Kristen ha toniou koz Breiz izel. Les cantiques reprenaient les mélodies de chants traditionnels bretons, appelés « Gwerziou », ce qui contribuait à leur popularité. Ils purent dès lors être chantés durant les offices accompagnés à l’harmonium. Pour ce travail, le révérend Bullinger fut aidé par Jean-François Cunuder, ancien prêtre qui s’était converti et devint instituteur à l’école de garçons de la mission de Trémel (1888). (1)
Le colporteur Laurent Bothorel écrivait en 1904 que certaines «personnes refusent nos almanachs parce qu’ils sont protestants, mais quand ils entendent chanter la passion de Notre Seigneur mise en vers bretons, ils les achètent immédiatement».
L’almanach breton diffusé à la fin du 19e siècle par les colporteurs de Trémel était publié aux frais de la Société évangélique de Genève. Il présentait des textes bibliques pour chaque mois du calendrier, des conseils agricoles, d’hygiène, les dates des foires et marchés, on y trouvait également quelques éléments d’histoire de la Bretagne, etc. Les colporteurs distribuaient aussi des «almanachs de tempérance» et faisaient ainsi une œuvre de santé publique dans une région particulièrement frappée par l’alcoolisme.
A titre d’illustration, citons le nombre de livres et brochures diffusés (et vendus) par le colporteur François-Marie Le Quéré au cours de l’année 1900: «52 Bibles, 254 Nouveaux Testaments, 12510 portions, 132 livres, 1111 almanachs bretons, 514 «Tempérant», 32 Bons Conseils et 2440 traités» (source Le Trémélois). Parfois, les colporteurs avaient la joie de retrouver des Bibles dans les villages qu’ils visitaient, montrant que le témoignage qui avait précédé portait ses fruits.
Les témoignages sont multiples qui rendent compte d’auditoires nombreux et attentifs lorsque l’Evangile était prêché sur les places publiques, les marchés, etc. Au début de l’année 1897, un colporteur qui traversait les communes de Duault, Carnoët, Lohuec et Bolazec découvrit que dans plusieurs maisons on possédait des portions des Saintes Ecritures et des Bibles en breton. De nombreuses personnes lui demandèrent qu’on vienne leur prêcher l’Evangile et se déclarèrent disposées à ouvrir leur maison pour cela. Enfin, la foi et les vies transformées des protestants étaient un témoignage «muet» pour tous ceux qui les entouraient et les considéraient souvent avec respect. Comme le déclarait le pasteur Alfred Jenkins au congrès de Paris sur l’évangélisation en 1913: «L’œuvre se fit pourtant, lentement, sans bruit, mais sûrement, …en ville ou en campagne.»
Quelques colporteurs dont le souvenir demeure vivace
Yves Omnès (1808-1892), originaire de Louargat (22), fut le premier Breton à se convertir suite à la prédication du pasteur John Jenkins vers 1845. Ce paysan de la région de Morlaix devint ensuite colporteur biblique pendant 45 ans, de 1847 à 1892, annonçant avec zèle et courage l’Evangile à une époque, notamment la première partie de son service, où les oppositions et persécutions étaient très fortes.
Quelques colporteurs liés à Trémel :
A gauche: François-Marie Le Quéré (1842-1922). Il avait épousé en 1872 Augustine Arthur-Shaw (sœur de Gertrude Le Coat), et fut colporteur-évangéliste, et pionnier de la Mission bretonne du Havre. Il était le père de Guillaume, dit « Tonton Tom », colporteur et aussi d’Anna et Emilie, institutrices à Trémel.
A droite: Georges Somerville (1868-1945), au centre du groupe familial. Adopté par sa tante Gertrude Le Coat-Shaw, il devint également évangéliste et successeur de son oncle G. Le Coat à Trémel. Deux de ses fils furent tués durant la guerre 14/18, et le 3e , Alfred devint pasteur à Morlaix.
Fils d’Yves, Guillaume Omnès (1837-1911), s’engagea également dans cette œuvre missionnaire vers 1864. En 1888, il témoignait de ses 24 premières années de travail lors d’une rencontre de colporteurs bretons : «Avant, on attentait souvent à ma vie…… Aujourd’hui à part quelques femmes bigotes, je suis partout très bien reçu». Après 37 années de service où il répandit l’Evangile en Bretagne, Guillaume Omnès dut se retirer, à l’automne 1901, pour raison de santé, malgré sa volonté de poursuivre l’oeuvre. Deux de ses fils et un gendre, Jean-Louis David, devinrent à leur tour colporteurs évangélistes.
A gauche : Yves Omnes (1808-1892), ou « le vieil Omnes », à l’origine d’une dynastie de colporteurs, évangélistes et pasteur.
Au centre : Guillaume Omnes (1837-1911), fils du précédent fut aussi colporteur de 1864 à 1901, père du pasteur Yves Omnes , et beau-père de l’évangéliste Jean-Louis David.
A droite : Jean-Louis David et sa famille.
Jean-Louis David (1871-1929), fils d’un éclusier, originaire de Cléden-Poher, il s’était converti lors d’une mission du pasteur Le Coat à Carhaix, en 1892, alors qu’il y exerçait le métier de cordonnier. Il fut ensuite élève à l’école évangélique de Trémel avant de devenir colporteur biblique. Fidèle collaborateur de la Mission évangélique bretonne (Trémel), Jean-Louis David oeuvra notamment à Huelgoat et dans ses environs, de 1893 à 1898, à Pont-Menou où il dirigea un temps l’école évangélique (à partir de 1898), etc. Il collabora également avec les missionnaires liés à l’oeuvre de Morlaix, à partir d’octobre 1899, notamment avec Jules Collobert à La Feuillée. En 1897, il épousa Elise Omnès, fille aînée du colporteur Guillaume Omnès. Plusieurs aspects du travail missionnaire de l’évangéliste Jean-Louis David sont évoqués dans la suite de ce chapitre, dans la partie consacrée aux chapelles et annexes de Morlaix et Trémel. Lors de son décès, le journal républicain «Le Citoyen» lui rendit hommage en ces termes: «Nous apprenons avec regret la mort de M. Jean-Louis David…caractère droit, ferme, énergique, intelligence profonde et sûre; activité inlassable; esprit bon, large, clair et généreux, telles étaient les qualités du disparu».
Parmi la cinquantaine de colporteurs qui œuvrèrent dans les campagnes bretonnes, il est important de saluer également le zèle et la consécration de l’un de ses derniers représentants : son souvenir reste vivace chez les anciens protestants bretons. «Peu d’hommes ont travaillé aussi longtemps et aussi fidèlement au service du Seigneur» a écrit à son sujet le pasteur Alfred Somerville.
Guillaume Le Quéré devint colporteur en 1896, répondant à un appel de son oncle, Guillaume Le Coat. Il commença ce long ministère de près de 70 ans à la foire Haute de Morlaix aux côtés de Guillaume Omnès. Jusqu’à sa mort il sillonna à bicyclette, puis en vélomoteur durant ses dernières années, les routes de Bretagne, ayant tout un réseau de correspondants qui lui achetaient fidèlement chaque année les calendriers de méditations quotidiennes. Même s’il n’a pas toujours vu les fruits de son travail, il lui arrivait parfois d’en avoir des échos étonnants, comme ce jour d’un pardon à St-Herbot : alors qu’il distribuait des Evangiles à la foule, il fut abordé par un homme qui lui dit en l’embrassant :
«Mon frère, que je suis heureux de vous voir! -Mais je ne vous connais pas!-Peut-être ne me connaissez-vous pas, mais c’est grâce à vous que j’ai trouvé le salut. Vous avez vendu un Nouveau Testament à ma mère, et c’est en le lisant que je me suis converti».
Le pasteur Pierre Prigent, un petit-fils du pasteur Georges Somerville, rapportait dans l’hommage rendu à Tonton Tom quelle était la réponse du colporteur à ceux qui lui demandaient ce qu’il vendait: «Je ne vends pas, Monsieur, j’apporte aux gens la bonne nouvelle du salut, l’Evangile du Seigneur Jésus-Christ. Il a changé ma vie, il m’a donné le vrai bonheur. Il veut le faire pour tous ceux à qui je m’adresse, et pour vous aussi. Voilà ce que je vais dire sur les marchés, et je donne à qui veut l’accepter des portions d’Evangile».
Guillaume Le Quéré et son épouse Marie furent reconnus «Justes parmi les nations», reconnaissance accordée par l’état d’Israël aux personnes ayant secouru des juifs pendant la Seconde guerre mondiale. Cet épisode de leur vie est présenté en annexe 10.
Guerlesquin (29) est la commune d’origine de Jean-Marie Guillou qui naquit au moulin de Keret en 1821, (oncle de Jean-Baptiste Guillou, né vers 1855, que G. Le Coat envoya comme pasteur bretonnant à Brest dans les années 1887). Après sa conversion à Paris, J.M. Guillou devint évangéliste en Bretagne, collaborateur du pasteur John Jenkins de Morlaix, vers 1859-63, avec les pasteurs William Monod, puis Bouhon, avant de poursuivre son ministère dans la région parisienne et dans l’Aisne. C’est lui qui annonça l’Evangile à Marie Ricou, mère du pasteur Le Coat, et fut à l’origine de la conversion de toute cette famille. Il visita de nouveau la Bretagne en 1896-97, et notamment Huelgoat et Conval, et termina sa vie à Trémel en 1910.
Enfin, Jean Scarabin, qui fut évangéliste et pasteur wesleyen (méthodiste) à Saint-Brieuc dans les années 1900, était né le 15 novembre 1876 à Plougras (non loin de Trémel, où ses grands-parents Scarabin et Berthou étaient meuniers). Il décéda à Montpellier le 11 juillet 1974.
Ces colporteurs étaient souvent rémunérés par des sociétés d’évangélisation, ou par des particuliers qui étaient attachés à la diffusion du message de l’Evangile en Bretagne. Le journal mensuel Le Trémélois permettait aux donateurs de se tenir informés des efforts d’évangélisation réalisés. Les colporteurs envoyaient aussi des rapports aux sociétés qui les employaient. Leurs directeurs ou agents passaient parfois les visiter pour les encourager et se rendre compte par eux-mêmes, sur le terrain, des difficultés rencontrées, et des progrès réalisés.
De gauche à droite : Des hommes remarquables, dont la distinction n’avait d’égale que la piété.
Les premiers agents en France de la BFBS (Société biblique britannique et étrangère, British and Foreign Bible Society): Jean-Daniel Kieffer (1767-1833) (2) – Victor de Pressensé (1796-1871) (3) – Auguste Fich (1814-1881), pasteur de la chapelle du Luxembourg, et Gustave Monod Jr. (1831-1904) (4).
Ces hommes furent de véritables «pères» pour les centaines de colporteurs qui tout au long du 19e siècle répandirent des portions des Saintes Écritures jusque dans les campagnes les plus reculées de notre région.
(1) Témoin au mariage de Georges Somerville le 4 février 1891, il était alors âgé de 26 ans, habitait Moustéru et était instituteur adjoint. M. Cunuder dut ensuite s’exiler:«La persécution cléricale le poursuivit et, pour éviter le service militaire, il s’exila en Angleterre et s’établit à Bath où il se maria; il est aujourd’hui [1910 ndlr] un professeur de langues réputé», nous apprend E. W. Bullinger dans son histoire de la mission de Trémel.
(2) Professeur de turc au Collège de France, il encouragea la traduction de la Bible en breton par J.F. Le Gonidec.
(3) Son logement du 47 rue de Clichy servait de dépôt pour les ouvrages que les colporteurs diffusaient, et devint le siège de la Fédération Protestante de France.
(4) Fils de Frédéric, fondateur de l’union des églises libres, donc aussi neveu d’Adolphe Monod.